Photo : 23 mai 2023, un enfant palestinien à l’occasion d’une veillée organisée en hommage aux dix membres de la famille de Abu Hatab, tuée dans l’effondrement d’un immeuble suite à une attaque israélienne sur le camp de Shati le 15 mai 2021 (Active Stils ; Mohammed Zaanoun)
Dans la soirée du 9 mai 2023, des avions de guerre sionistes ont attaqué la bande de Gaza, tuant au moins 14 Palestiniens, dont trois chefs de la résistance et leurs familles. Les médias mainstream ont parlé des frappes avec leur langage habituel. Selon CNN, trois commandants du "Jihad islamique" et "plusieurs membres de leur famille" figurent parmi les 13 personnes tuées dans ce que l’État sioniste a décrit comme une opération visant des "cadres du terrorisme".
L’article poursuit, "Le groupe militant palestinien [Hamas], a confirmé que trois de ses commandants ont été tués dans l’opération, ainsi que leurs femmes et leurs enfants." Le porte-parole de l’IDF [Israel Defense Forces], le lieutenant-colonel Richard Hecht, a admis qu’il pouvait y avoir des dommages "collatéraux", en faisant référence aux femmes et aux enfants.
"S’il y a eu des morts tragiques, nous examinerons la question et nous vous tiendrons au courant", a-t-il déclaré aux journalistes, qui devraient savoir qu’au regard de l’expérience passée, cela n’arrivera jamais. Dans sa couverture du massacre, le New York Times a utilisé un langage similaire, désignant le Hamas comme "le mouvement militant palestinien qui dirige Gaza", plutôt que comme les représentants dûment élus qui gouvernent un territoire constamment assiégé.
En revanche, des messages sont apparus sur Facebook, rédigés par des Palestiniens et leurs soutiens, afin que le monde entier voie des photos des victimes, donnant ainsi de la consistance à leur vie au-delà de l’étiquette de "terroriste". Par exemple, Romana Rubeo, rédactrice en chef du Palestine Chronicle, a exhorté les gens à montrer les photos des enfants "et des autres victimes vivantes et à ne pas montrer de vidéos qui les déshumanisent encore plus que le monstre israélien ne le fait déjà".
Ramzy Baroud - chroniqueur de renommée internationale, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et fondateur de PalestineChronicle.com – écrit, "Il est facile - et justifié - de tenir les médias pour responsables de la déshumanisation des Palestiniens. Parfois, ils sont carrément ignorés. Si des responsabilités doivent être mentionnées, alors d’autres aussi, y compris ceux qui se considèrent comme "pro-Palestine", doivent reconsidérer leur position. Nous sommes tous, dans une certaine mesure, collectivement coupables de considérer les Palestiniens comme de simples victimes - un peuple infortuné, passif, intellectuellement rabougri et malheureux, qui cherche désespérément à être ’sauvé’".
Les chiffres "effacent aussi les vivants", conclut-il. En conséquence, ils "persistent à recevoir de la charité, des attentes politiques et des instructions non sollicitées sur ce qu’il faut dire et comment résister". En fait, déclare le journaliste C.J. Werleman, le droit international approuve sans ambiguïté la "lutte armée" pour les peuples qui cherchent l’autodétermination contre la "domination coloniale et étrangère".
À l’approche de la 75e Nakba, il est important de se souvenir non seulement des violences commises par Israël à l’encontre des Palestiniens pendant et après cet événement, mais aussi des 75 années de résistance palestinienne à l’occupation.
Dans une publication sur Facebook, Ramzy Baroud a énuméré les raisons pour lesquelles la résistance palestinienne doit répondre. Parmi les 7 motifs, il a expliqué que l’absence de réponse ne conduirait pas seulement à la division de la Résistance à Gaza, mais aussi à "démoraliser la révolte qui grandit en Cisjordanie". Ces deux points soulignent l’unité croissante entre les groupes de la Résistance sur le terrain.
C’est important, car l’armée sioniste coordonne ses attaques. Peu avant que l’armée ne bombarde Gaza, les leaders palestiniens emprisonnés ont subi une répression accrue dans les prisons de l’occupation. Le matin du 8 mai, les forces sionistes ont pris d’assaut les sections 5 et 7 de la prison de Ramon, transférant ensuite Ahmad Sa’adat, le secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine, et d’autres dirigeants du FPLP, Ahed Abu Ghoulmeh et Walid Hanatsheh (également membre du Haut Comité d’urgence du mouvement des prisonniers palestiniens), à l’isolement dans un lieu non identifié.
Ces agressions ont donné lieu à des stratégies de résistance immédiate à l’intérieur des murs de la prison, notamment de la part des prisonniers du FPLP qui ont commencé à frapper sur les fenêtres et les murs de leurs chambres et à refuser de se présenter aux appels qui ont lieu plusieurs fois par jour.
La résistance s’est également manifestée à l’extérieur des murs de la prison. Le 7 mai, Etaf Alayan, ancien prisonnier palestinien et gréviste de la faim de longue durée, a entamé une grève de la faim devant les bureaux du Comité international de la Croix-Rouge à Al-Bireh, en Palestine occupée, afin d’obtenir la libération du corps de Khadar Adnan et d’autres martyrs détenus dans les morgues de l’occupation.
"L’occupation pensait faire taire la voix de Khader Adnan en l’assassinant, mais elle apprendra qu’il a ému le cœur de tous les peuples libres", a déclaré M. Alayan. En effet, comme l’explique Ramzy Baroud, Adnan était associé à un "nouveau mouvement politique non fractionnel" qui cherchait à unifier tous les Palestiniens, "indépendamment de la géographie, de la politique et de l’idéologie".
Avec d’autres personnalités de la société civile, Adnan a contesté les tendances à la division apparues après les accords d’Oslo, un processus, poursuit Baroud, qui "a divisé les Palestiniens en classes, transformant les frères en ennemis, et permettant à Israël de maintenir son occupation militaire et son apartheid, sans entrave".
Adnan était le "résultat de [cette] nouvelle culture politique", conclut Baroud, une "résistance collective" qu’Israël estime ne pas pouvoir vaincre facilement. Là encore, les médias se sont trompés. Il n’était pas un "terroriste" avec "du sang israélien sur les mains", comme les propagandistes pro-israéliens l’ont répété dans les médias et sur les réseaux sociaux. Il était plus qu’un "membre influent du groupe militant du Jihad islamique", comme l’a déclaré le Washington Post. Il a contribué à ce que Baroud appelle un "discours émergent parmi les Palestiniens, celui de l’unité, de la résistance populaire et, en fait, de l’espoir d’une ’victoire assurée’".
Pour être victorieux, les Palestiniens doivent rester unis. Ils doivent également avoir les moyens d’employer une diversité de tactiques, même si certains segments du mouvement de solidarité considèrent la non-violence comme le seul mode de résistance acceptable. Comme le note Omar Zahzah, il existe une focalisation "problématique et obsessionnelle" sur la "non-violence" parmi les membres du "mouvement plus large de solidarité avec la Palestine qui déshumanise les Palestiniens, normalise le sionisme et utilise finalement des cadres racistes et coloniaux pour faire avancer l’idée que les moyens de la résistance palestinienne sont plus troublants que la réalité du colonialisme de peuplement sioniste".
En se distançant de toute forme de résistance armée, y compris des actions menées sur le terrain et des groupes qui soutiennent toutes les formes de résistance palestinienne, ces militants reflètent souvent le langage des médias qu’ils disent mépriser.
En fin de compte, la non-violence n’est utile que dans certaines situations, tandis que la résistance armée s’avère être le meilleur choix dans d’autres. Parce que les États-Unis et Israël sont tous deux nés dans la violence, les premiers avec l’extermination de la population indigène et l’esclavage, le second avec la Nakba, le racisme systémique et la violence qui l’accompagne sont ancrés dans le tissu des deux pays.
Comme l’explique Nahla Abdo :
"L’analogie la plus pertinente entre les États-Unis et Israël réside dans la principale justification de leur création en tant qu’États coloniaux. L’impérialisme, qui est la force motrice du projet colonial de colonisation, est intrinsèquement raciste et racialisant. Avec la création de l’État, le capital racialisé devient structurel et institutionnel ; il devient systémique. Les différences entre les deux régimes existent également, car chaque cas est historiquement spécifique".
Par conséquent, les conversations interindividuelles entre l’oppresseur et l’opprimé, également connues sous le nom de "normalisation", n’entraînent pas de changement. En l’espèce, l’oppression n’est pas une interaction entre deux personnes, mais elle est ancrée dans le système. Ainsi, la cérémonie commune de commémoration de la Nakba organisée par les Amis américains des combattants pour la paix (AFCP) ne peut conduire à la victoire pour les Palestiniens car elle repose sur une interaction individuelle entre l’oppresseur et l’opprimé, une situation qui nécessite le démantèlement des structures au sein de l’État colonisateur afin de mettre fin à l’occupation.
Parce que les médias dominants taisent le rôle d’Israël dans la montée des tensions, ainsi que la résistance palestinienne à cette escalade, les médias indépendants sont plus importants que jamais. En effet, les journalistes occidentaux ont une longue histoire de manipulation des informations afin de les aligner sur la version des événements du Pentagone. Par exemple, en 2001, Walter Isaacson, alors président-directeur général de CNN, a déclaré au Washington Post qu’il "semble pernicieux de trop se concentrer sur les pertes ou les difficultés en Afghanistan" (Amy Goodman et David Goodman, The Exception to the Rulers : Exposing Oily Politicians, War Profiteers, and the Media That Love Them, 2004, p. 167).
Pour parvenir à ce que Bush et le Pentagone voulaient, Isaacson a demandé à son équipe de rappeler à leurs téléspectateurs que les actions militaires américaines, bien que causant parfois des pertes civiles, étaient toujours "en réponse à une attaque terroriste qui a tué près de 5 000 personnes innocentes aux États-Unis" (Goodman et Goodman, p. 166). Bien sûr, ces Afghans n’avaient rien à voir avec le 11 septembre, mais l’association des deux était faite dans le même but que le fait de confondre la résistance palestinienne avec les terroristes ou peut-être de l’invisibiliser complètement.
Traduction : AFPS